Haïti Futur fait du redémarrage rapide des écoles une des priorités de la reconstruction après Matthew. Pour quelles raisons ?
Lorsque la situation est chaotique, et elle l’est, on se pose la question de savoir par quel bout attaquer la reconstruction. Quand tout est détruit, l’habitat, les cultures, le cheptel, il faut redémarrer par un bout qui va restructurer le tissu social. L’école est un bon moyen de le faire. Au-delà de l’enseignement, l’école apporte un cadre structuré. Pour les enfants qui vont trouver un cadre leur permettant de surmonter le traumatisme au contact de leurs camarades et de leurs enseignants, la vie va reprendre son cours…
Le redémarrage de l’école va permettre aux parents d’être plus disponibles pour régler leurs affaires domestiques suite à la catastrophe, sans avoir à s’occuper des enfants toute la journée. Il va également favoriser une assistance alimentaire structurée, par la reprise des cantines scolaires en lieu et place des distributions sauvages souvent inéquitables, dont les plus violents profitent.
On peut aussi envisager que l’école soit un lieu de distribution de plantules aux familles pour encourager le reboisement. C’est aussi dans l’école que les actions d’éducation sanitaires auront le plus de portée. Je pense bien sûr d’abord à la prévention du choléra. Ces actions ne peuvent se faire qu’à l’école, dans un pays où l’habitat est très dispersé.
Comment comptez-vous procéder ? Avec qui ? Avec quels moyens ?
A travers les agences « d’aide d’urgence » (je préfère ce mot à « humanitaires »), il y aura bientôt un afflux de matériaux (tôles, bois, clous, ciment, outillage…) mais il y aura des chaînons manquants qu’Haïti Futur se propose de remplir sans délai :
– l’évaluation des travaux à effectuer,
– le pilotage des chantiers (avec un contrôle du respect des normes paracycloniques),
– le paiement de la main d’oeuvre.
Haïti Futur se propose de remettre en état une quarantaine d’écoles (30 pour le district Camp-Perrin-Maniche et 10 aux Abricots) dans les deux ou 3 mois qui viennent. Nous espérons que cet exemple sera suivi par d’autres structures et organisations partenaires du Ministère, de manière à ce que la totalité des écoles endommagées soient à nouveau opérationnelles très rapidement.
Selon quels critères ces écoles seront-elles choisies, sachant qu’il y a plus de 150 écoles dans le district, endommagées à plus de 80% pour la plupart ?
Il faut des critères qui ne soient pas liés au statut de l’école (privé, public etc.) mais à une analyse réaliste de la situation:
1) L’effectif et la volonté de partage. Les établissements accueillant le plus d’enfants et dont les directeurs accepteront la mise en place d’une double vacation seront favorisés. Cette double vacation permettra à des élèves dont l’école est détruite de venir en classe après la vacation du matin dans une école déjà réouverte.
2) Le niveau de destruction. Nous commencerons avec les écoles où les travaux seront les moins importants afin que les enfants puissent rentrer le plus vite en classe.
3) Le critère spatial. Nous veillerons à une dispersion spatiale bien équilibrée afin de ne pas défavoriser une fois de plus les zones les plus reculées des sections rurales (« le pays en dehors« ).
Vu l’ampleur des dégâts, personne n’est capable de régler les problèmes tout seul. Une coordination et une collaboration entre tous les acteurs du secteur éducatif est indispensable. N’oublions pas qu’il y a 80% d’écoles privées en Haïti mais elles remplissent une mission de service public. Si nous voulons renforcer la gouvernance de l’état (pour que ce chaos ne se reproduise plus), nous devons travailler ensemble. C’est pour cette raison que nous rencontrons régulièrement l’Inspecteur de zone M. Jolivert Pierre pour faire le point sur la situation et pour éviter des doublons ou des absences dans le choix des établissements.
Concrètement aujourd’hui, où en êtes-vous ?
A ce jour les matériaux ne sont pas encore disponibles (nous espérons qu’ils le seront d’ici quelques jours). Dans l’urgence, nous avons commencé à intervenir sur des écoles qui ne nécessitaient pas de trop de matériaux. Yohann a piloté la réhabilitation de 3 salles de classe à l’école de Rhé en utilisant les tôles existantes et en mastiquant. Dès demain il bâchera 2 autres classes.
Vivens continue son état des lieux détaillé des écoles du district pour répertorier leur degré d’endommagement (toiture, charpente, murs etc.). Les 2/3 des écoles ont été répertoriés à ce jour.
Thomas commence à réclamer des devis et à identifier les contremaîtres-couvreurs avec lesquels nous allons pouvoir travailler et envisager les différentes techniques de reconstruction à mettre en oeuvre. Il est indispensable de ne pas refaire les erreurs de construction qui ont abouti à ce désastre. Une leçon qui ne semble pas avoir été apprise avec les reconstructions de l’après-séisme.
Et le programme d’éducation numérique pour lequel vous travaillez depuis plus de 6 ans ? Matthew l’a-t-il enterré ?
Matthew n’a enterré aucun de nos programmes. Au contraire il a confirmé l’importance des projets entrepris. Nous continuons notre travail dans les départements peu ou pas touchés par l’ouragan. A Jacmel, Marianne a organisé avec l’Université Notre-Dame et Haïti Futur une formation de formateurs du 5 au 15 octobre pour la Faculté des Sciences de l’Education.
Mais pour la Grand’Anse et le département du Sud il faut rester réaliste. Nous ne pouvons continuer en l’état la diffusion des tableaux numériques et les formations car les écoles sont fermées, les matériels et les sources d’énergie endommagés.
Cela va prendre du temps pour tout remettre en état, deux, trois ou 6 mois selon les cas. Mais au fur et à mesure que les écoles rouvriront, nous reprendrons notre programme et nos formations car c’est l’avenir du pays qui est en jeu.